Axes de plaidoyer

Déclaration finale de la société civile malienne sur les APE

Nous, organisations paysannes, autres acteurs de la société civile, travaillant sur les questions d’Agriculture, de commerce, de développement socio- économique et culturel du Mali, réunis au Centre Aoua Kéïta à Bamako du 15 au 17 mai 2007 dans le cadre d’un atelier d’information, de réflexion et de concertation de la société civile malienne et des acteurs étatiques sur les enjeux des Accords de Partenariat Economique entre l’Union Européenne et les pays ACP.

Adoptons les conclusions et positions suivantes :

  •  Conscients que, contrairement aux allégations de l’UE, l’OMC n’impose pas la fin des relations commerciales non réciproques avec les pays ACP puisque, selon l’article 36 .8 du GATT, qui a autant de poids juridique que les articles 1 et 24 (GATT), invoqué par la Commission Européenne dans le passé pour justifier les Conventions de Lomé.
  •  Conscients que, contrairement à l’interprétation de l’UE, la Clause d’habilitation du 28 novembre 1979 intégrée au GATT en 1994 autorise le maintien de préférences non réciproques entre l’UE et les groupements régionaux de pays ACP comme la CEDEAO.
  •  Constatant que l’OMC reconnaît la nécessité d’un accord spécial et différencié (TSD) dans tous les cas pour les pays en développement et que l’APE instaurerait un TSD au profit exclusif de l’UE puisqu’elle a ouvert son marché depuis très longtemps à 97% des exportations des pays ACP qui devraient seuls démanteler leur protection.
  •  Constatant que la finalisation de l’APE au 31 décembre 2007 ne s’impose pas puisque l’Accord commercial préférentiel de l’AGOA entre les Etats-Unis et les pays d’Afrique est en vigueur depuis 2001 et ce jusqu’en 2015 alors que l’OMC n’a toujours pas statué sur la demande de dérogation déposée seulement en 2005 par les Etats Unis.
  •  Constatant que l’UE est bien plus soucieuse d’obéir aux soi-disant règles de l’OMC pour mettre fin aux préférences commerciales des pays ACP que de cesser elle-même de violer ces règles. Elle a en effet l’habitude de sous-déclarer largement ses soutiens internes Agricoles et de perpétuer un dumping camouflé sous ses subventions internes, alors que l’Organe d’appel de l’OMC a jugé à plusieurs reprises depuis 2001 que le dumping doit inclure les subventions internes aux produits exportés.
  •  Constatant qu’il en résulte que le taux de dumping moyen de l’UE de 1995 à 2001, a été de 64% pour la viande bovine, 42% pour les céréales, 33% pour les produits laitiers, de 24% pour la volaille et 12% pour la viande de porc etc.
  •  Constatant que, selon le jugement de l’OMC du 3 mars 2005 (sur le cas coton) les “paiements directs” aux producteurs des USA sont soumis à réduction car ils n’ont pas le droit de produire des fruits et légumes. . En 2007 l’UE a alloué 30 milliards d’euros de subventions du même type (régime du paiement unique) à ses agriculteurs, avec des interdictions au plafond de production bien plus nombreuses qu’aux Etats-Unis (fruits et légumes, lait, sucre, coton, tabac, huile d’olive, vins). Ce qui signifie que tous les produits agricoles exportés par l’UE sont donc attaquables pour dumping.
  •  Constatant que l’Accord de Cotonou n’oblige pas l’UE à réduire son dumping agricole et que l’article 54 de cet Accord prévoit au contraire que l’UE programmera ses subventions à l’exportation un an à l’avance, entraînant ainsi la baisse des prix agricoles en Afrique de l’Ouest.

 Constatant que l’UE et les Etats Unis ont proposé, dans les négociations en cours du Doha Round, de plafonner les droits de douane agricoles à 150% pour les pays en développement et à 100% pour les pays développés.

  •  Constatant que les droits de douane appliqués par l’UE sur ses produits alimentaires de base (céréales, sucre, produits laitiers, viande bovine, nombreux fruits et légumes) sont de 3 à 8 fois supérieurs à ceux du TEC de l’UEMOA-CEDEAO et qu’elle a 150 lignes tarifaires agricoles supérieures à 100%. C’est pourquoi elle veut placer 160 lignes (soit 8% du total des lignes tarifaires agricoles) en produits sensibles devant bénéficier d’une faible réduction des droits de douane.
  •  Constatant que, dans les relations commerciales UE-Afrique de l’Ouest, l’UE n’importe que des produits tropicaux ne concurrençant pas ses produits alimentaires de base alors que c’est l’inverse pour l’Afrique de l’Ouest.
  •  Constatant que, si l’Accord de Cotonou prévoit le droit pour l’UE de se protéger contre l’afflux des produits provenant des pays ACP, le même avantage n’est pas prévu pour les pays ACP (article 8 à 11 de l’annexe de l’Accord de Cotonou) en cas d’afflux de produits venant de l’UE.
  •  Constatant que les pays ACP ne peuvent signer un APE avant que les négociations commerciales en cours à l’OMC ne soient conclues (Doha Round), ce qui les priverai des mesures de protection supplémentaire prévues pour les produits agricoles des pays en développement (produits spéciaux, produits sensibles, mécanisme de sauvegarde spéciale).
  •  Constatant qu’à l’exception d’un nombre restreint de produits agricoles, l’APE mettrait en concurrence un producteur européen produisant 1000 tonnes de blé par actif (7 tonnes à l’hectare sur 130 hectares) avec son collègue malien produisant 1 tonne de mil (0,7 tonne à l’hectare sur 1,3 hectare) tandis que le premier reçoit 55 000 euros de subventions (36 millions de FCFA) et le second, rien.
  •  Constatant que la finalisation du Doha Round est aussi un préalable à la signature de l’APE puisque ce n’est qu’alors que l’on connaîtra les engagements de réduction des droits de douane de l’UE et donc la baisse des avantages tarifaires de l’Afrique de l’Ouest sur le marché européen par rapport à d’autres pays en développement plus compétitifs.
  •  Conscients que les pays ACP ne peuvent signer un APE avant que l’UE n’ait réformé en profondeur sa politique agricole commune (PAC) en 2013 car c’est à ce moment que sera connu le niveau des subventions de l’UE qui influera sur la compétitivité et le niveau des importations de l’Afrique de l’Ouest.
  •  Constatant que l’OMC a donné 10 ans aux pays en développement non PMA pour réduire leurs droits de douane agricoles de 24%, la conformité de l’APE avec l’OMC exigerait 33 ans pour qu’ils les réduisent de 80%. Cela se justifie d’autant plus que 13 pays d’Afrique de l’Ouest sur 16 sont des PMA qui ne sont tenus à aucune réduction tarifaire.
  •  Constatant que les importations des 13 PMA de l’Afrique de l’Ouest venant de l’UE ont été de 37% de leurs importations en 2003 et que les PMA sont dispensés d’ouverture de leur marché au titre de “Tout sauf les armes”, le taux d’ouverture des 16 Etats d’Afrique de l’Ouest vis-à-vis des exportations de l’UE devrait être au plus de 43% (80% – 37%).
  •  Convaincus que les accords de libre-échange entre l’UE et les pays ACP ne sont pas négociés entre partenaires égaux ils constituent une sérieuse ménage aux efforts de développement pour les économies de la région en général et singulièrement du Mali ;
  •  Partant du fait que des dynamiques de concertation sont enclenchées par la société civile en Afrique de l’Ouest, au niveau national comme régional, pour une prise en compte effective de ses préoccupations dans les décisions politiques du processus de négociations de l’APE ;
  •  Conscients que les pays membres de la CEDEAO n’ont pas encore entièrement effectué leurs propres évaluations et études sur les incidences générales et sectorielles des APE ;
  •  Prenant en compte que les modalités accélérées adoptées actuellement pour ces négociations bloquent les possibilités d’un débat démocratique et équitable entre les parties prenantes ;
  •  Conscients que plusieurs membres de l’UE (Assemblée nationale française, parlement britannique, parlement européen, Danemark, Italie, Pays-Bas) contestent l’opportunité de ces APE qu’ils jugent dangereux pour l’équilibre du monde. Pourtant la CE et le conseil de ministre de l’UE veulent conclure cet Accord pour la fin 2007 ;
  •  Conscients que la CEDEAO est en difficulté de défendre ses choix politiques autonomes dont ECOWAP, dans le cadre de l’APE. Elle s’est enfermé dans des demandes mercantiles (soutien des coûts d’ajustement, de transition et de contraintes de l’offre). L’UE quant à elle refuse de prendre des engagements en ce sens ;
  •  Conscients du fait que les pays ouest africains se sont attelés au cours des dernières décennies à la réalisation de leur propre programme d’intégration régionale, des questions importantes restent à définir (marché régional, politique sectorielle entrave à la libre circulation des biens etc.)
  •  En dépit du fait que les études d’impact de l’APE ne sont toujours pas achevées ;
  •  Convaincus que ces décisions exposent la CEDEAO au risque de passer à une étape beaucoup plus complexe des négociations sans aucune de sauvegarde de ses intérêts ;
  •  Conscients du fait que les secrétariats des deux groupements régionaux de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA et CEDEAO) ont abandonné les orientations politiques claires des gouvernements de la sous-région pour se rapprocher des perspectives proches de celles de l’UE ;

 Conscients des insuffisances notoires dans la préparation et la formulation des questions clé

  •  Conscients de e fait que la construction politique et économique de l’espace CEDEAO ne lui permettent pas de décider aisément des positions concrètes face à l’UE ;
  •  Conscients du caractère erroné de l’hypothèse selon laquelle plus de libéralisation et d’ouverture attireraient l’investissement étranger (particulièrement d’Europe) pour assurer le développement en Afrique de l’Ouest ; les résultats des PAS sont là pour le démontrer ;
  •  Vu l’insistante de la Commission Européenne d’inclure dans l’APE, les thèmes controversés de Singapour (investissement, concurrence et marchés publics) que les ministres Ouest Africains ont rejeté à l’OMC ;
  •  Soulignant que, contrairement à l’article 24 du GATT sur le commerce des marchandises, l’article 5.b de l’AGCS (Accord général sur le commerce des services) autorise les échanges non réciproques dans le cadre des accords commerciaux Nord-Sud sur les services, une preuve de plus que l’OMC n’impose pas les accords commerciaux réciproques comme un principe général.
  •  Se félicitant que l’Association industrielle africaine (AIA) s’est prononcée fermement le 24 avril 2007 contre les APE : “L’ouverture préconisée des marchés condamnerait irrémédiablement l’Afrique à demeurer un comptoir d’importations. L’enjeu majeur pour l’AIA aujourd’hui… c’est l’industrialisation du continent qui est un facteur essentiel de création de richesses et d’emplois… Aucune économie viable et forte ne s’est développée sans protection. Il en a été ainsi des USA, de l’Europe, du Japon ou de la Chine entre autres. Il n’en saurait être autrement pour l’Afrique aujourd’hui. Nous invitons instamment les négociateurs à sortir de leurs salles de réunions et à aller sur le terrain pour mesurer pleinement les difficultés auxquelles font face les industriels africains… Des phases de transition de 12 à 18 ans avant l’entrée en vigueur de la réciprocité totale ne seront pas suffisantes pour combler le différentiel de compétitivité entre l’UE et l’Afrique”.
  •  Constatant que, quelle que soit l’ampleur des impacts négatifs de l’APE, les Etats d’Afrique de l’Ouest semblent s’y résigner, espérant que des aides financières complémentaires en réduiront les effets négatifs. Ceci est une erreur profonde ! Des perfusions temporaires de fonds ne se substitueront jamais à la perte de compétitivité des entreprises, agricoles comme industrielles et de services. En outre il y aura une irréversibilité des réductions tarifaires qui, une fois consenties à l’UE, seront inévitablement généralisées au reste du monde dans les négociations de l’OMC. En effet, le FMI et la Banque mondiale en ayant souligné la nécessité pour éviter des détournements de trafic au profit exclusif de l’UE. Ce qui souligne aussi que les pertes de recettes douanières seront bien plus importantes que sur les seules importations en provenance de l’UE.
  •  Convaincus que l’intégration des pays de l’Afrique de l’Ouest, un impératif pour le développement des économies doit prendre en compte les aspirations profondes des populations, tout particulièrement des groupes sociaux vulnérables et marginalisés ; pour garantir cela, une pleine participation de ces populations laborieuses est incontournable.

Nous, organisations Paysannes et des autres acteurs de la société civile malienne ;  réitérons notre opposition catégorique à la signature de l’APE ;  demandons aux autorités politiques et administratives et au Gouvernement du Mali, d’arrêter les négociations sur l’ APE ; exigeons notre participation effective à l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi de toute politique de développement socioéconomique et culturel durable de notre pays.

Invitons le Gouvernement de la République du Mali à : • s’engager résolument dans la CEDEAO à la construction d’un espace polit et économique intégré et viable ; • élaborer et mettre en œuvre des politiques sectorielles viables, notamment l’ECOWAP ; • créer et consolider le marché régional ; • protéger l’espace économique régional, notamment par un TEC réellement protecteur ; • mettre en circulation une monnaie unique ; • supprimer toutes les barrières à la libre circulation des biens

Fait à Bamako, le 17 mai 2007

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